L’imaginaire collectif d’un hôtel fantôme

29 juillet 2015

 

« Sur les pas d’un hôtel obscur » s’est tenu à Marseille du 18 au 30 mai 2015. Le workshop a exploré des outils de recherche artistique pour collaborer et créer en collectif. Inscrit dans le cycle des workshops européens initiés par le projet européen Hotel Obscura, la thématique artistique est celle de l’hôtel, espace chargé de symboles et de fascination.

« Sur les pas d’un hôtel obscur » a articulé trois thématiques de travail durant deux semaines : des immersions dans la ville et les hôtels marseillais, des temps de recherche théorique autour de la table et des temps de création artistique collective. Fort d’un groupe composé de trois intervenants français (La Folie Kilomètre / GK Collective / La Transplanisfère), quatre intervenants et huit participants européens, l’axe de recherche essentiel a été celui de la proposition artistique pour un seul spectateur, dans une chambre d’hôtel par exemple.

Ici, le spectateur n’est pas assis dans un gradin de théâtre : il se promène dans un hôtel et rencontre des moments impromptus qui lui sont personnellement proposées. Dans ce cadre artistique, quelles sont les limites de l’intimité ? Comment tenir compte de l’individu, de son vécu, de sa pudeur ? Le fruit de ces questionnements a donné lieu à une restitution publique à La Cité des Arts de la Rue (Marseille), racontée ci-dessous par Jean, l’un des spectateurs :

 

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« Il est 18h. Nous sommes une quarantaine de personnes sur le parvis de la FAI-AR.

Laureline, hôtesse et conductrice de navette, nous invite à prendre place dans le mini-van qui va nous emmener à l’hôtel où notre chambre est réservée. Elle nous conduit ainsi, par petits groupes de huit, sur un brin de causette, aux portes de la tour-ascenseur grâce à laquelle nous parvenons jusqu’à l’endroit mystérieux.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Nous cheminons sur une passerelle métallique, le long d’un mur, pour accéder à une petite cour carrée où se trouve un jardinet central, un bar, et la réception de l’hôtel. Beaucoup de personnes font déjà la queue pour confirmer leur arrivée et récupérer leur numéro de chambre. D’autres sont déjà accoudées au bar, où installées dans des canapés, un verre à la main. Le personnel, plein d’amabilité, mais semblant un peu dépassé par cette vague d’arrivants, va et vient entre les groupes.

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L’attente est un peu longue, mais cela permet d’observer les gens autour, le décor, et l’activité qui y règne.
Un panneau affiche le règlement intérieur, qui nous dit : « Au son de la cloche : l’expérience est achevée.

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Dans les chambres, vous êtes invités à vivre un souvenir. En dehors des chambres, vous êtes libres de participer. N’hésitez pas à utiliser votre kit pour laisser des traces. Attention, la fiction peut avoir lieu partout ! La direction. »
Une fois nos noms vérifiés, on nous remet une grande enveloppe contenant divers objets : une brosse à dent, une pomme, un stylo, une enveloppe plus petite avec une feuille blanche, un sachet de thé, le règlement intérieur…

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Il est temps d’aller prendre un petit verre auprès de Maître Brut. Là, nous devisons, tandis que des personnes sont appelées par leur numéro de chambre. Deux employées en blouse rose viennent chercher des clients à tour de rôle.

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Une femme s’approche et me parle en anglais. Elle me demande si j’ai déjà souhaité tuer quelqu’un, puis me raconte qu’elle est à la recherche du meurtrier de son père, dont elle me montre la photo sur l’écran de son téléphone portable. Elle me propose de la suivre car elle voudrait me montrer quelque chose. Nous traversons la cour, et elle me demande de me tenir immobile et de l’observer. Elle s’engage dans le couloir, se retourne, mime quelqu’un qui recevrait une balle en pleine poitrine et s’écroule. Elle se relève au bout de quelques secondes puis disparaît au fond du couloir.

Elle réapparaîtra ensuite aux abords du bar où elle m’avait accosté quelques minutes plus tôt.

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Une réceptionniste vient d’appeler notre numéro de chambre. On nous fait reprendre la passerelle pour nous emmener dans une autre cour, où quatre portes se font face. Une porte s’ouvre, un homme est poussé au-dehors, on lui retire un bandeau qui masquait ses yeux. Il nous découvre, et nous le regardons, chacun étant l’espace d’un instant le spectacle de l’autre.

 

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Une sorte de majordome nous explique brièvement le fonctionnement à suivre et nous donne quelques recommandations. « Certaines chambres pourraient contenir des réminiscences des personnes qui les ont occupées avant vous. Eux ne vous voient pas. » Une jeune femme, tenant une canne dans une main, fumant une cigarette fine de l’autre, se contorsionne autour de lui telle un corps mou cherchant un tuteur. Il tente de s’en débarrasser sur une chaise, en la suspendant à la treille métallique, où en l’abandonnant dans les bras d’un visiteur.
Une clochette tinte, c’est le signal que nous pouvons gagner nos chambres. Nous entrons à 4 dans la 301. Le type aux yeux bandés de tout à l’heure est là. Je comprends alors qu’il s’agit d’un public.

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Dans la chambre, un ventilateur tourne, une chemise, un pantalon et un caleçon attendent quelqu’un, dépliés sur le bord du lit. Quelqu’un chante sous la douche. Sur le rebord du lavabo, il y a un téléphone portable. On peux y lire la bribe d’un échange :
« … j’irai chercher les enfants… ». Un homme sort de la douche, se sèche, tape trois touches sur son téléphone qui commence à jouer un morceau de pop-variété.

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Il va vers le lit, s’habille en tressautant sur les pulsations de cette musique un peu « légère ». On comprend qu’il a un rendez-vous.
Il décroche son téléphone : « J’y suis. Je suis seul. Je t’attends… ».
L’homme sort une paire de chaussures noires à talon de derrière le lit sur lequel il est assis et les passe à ses pieds. Puis il s’installe, dos au mur, pied relevé vers l’intérieur pour en valoriser la pointe. Il cherche une pose, la plus langoureuse possible. Il se lève précipitamment, tire les rideaux, et ondule jusqu’au mur en face, auquel il s’adosse, cambré, pliant les genoux en se laissant glisser vers le sol, offrant sa danse érotique à un spectateur imaginaire placé dans l’encadrement de la porte.

L’homme retourne à son téléphone, coupe la musique. Son visage change d’expression et devient grave : « Tu es où ?… ». Un bref échange s’ensuit, il raccroche. Son air déçu laisse deviner un changement de programme inopiné.

Il lance un nouveau morceau de musique, une voix chaude chante un chagrin d’amour. Accroupi à côté du lit, il suit de la tête et des poings le rythme de la musique, pour tenter de se remonter moralement.

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La clochette tinte, et nous fait comprendre que nous devons sortir de la chambre. On nous explique que nous nous sommes trompés. En effet, le numéro de la chambre dans laquelle nous étions entrés n’est pas le bon. Après 5 minutes laissées au service pour remettre de l’ordre dans les chambres, nous pouvons cette fois découvrir la 301.

Les rideaux sont tirés. Quelqu’un dort dans un des deux lits simples, un réveil sonne. Le dormeur se réveille, et éteint ce dernier.

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Il s’agit d’une jeune femme. Elle s’étire, s’assied, quitte le lit et se dirige dans la salle de bain. La porte se ferme. On entend des bruits de douche. Quelqu’un frappe à la porte. Elle ressort de la salle de bain, entourée d’une serviette. C’est un garçon du room-service qui vient lui apporter son repas. Le téléphone de la fille sonne. Elle le coupe, puis retourne à sa douche. Resté seul, le serveur soulève la cloche et découvre un petit appareillage électronique, qu’il va cacher entre le sommier et le matelas du second lit. Un casque stéréo sur les oreilles, il effectue un rapide test micro de ce qui semble être un dispositif d’écoute pirate.

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Le téléphone de la fille se remet à sonner, ce qui surprend le serveur et l’oblige à quitter la chambre avec précipitation. La clochette retentie, et nous invite à en sortir à notre tour…

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Allant ainsi de chambre en chambre, d’une atmosphère étrange à une autre, imbriqués dans une mécanique horlogère, nous découvrons à chaque fois un ou plusieurs personnages avec un bout d’histoire qui nous amène à en imaginer le « hors-champ ».

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Nous ne savons pas toujours qui est comédien, et qui est public, ou ce que nous sommes en droit de faire, où commencent et s’arrêtent la fiction ainsi que notre participation à l’intérieur de l’expérience qui est en train de se dérouler.

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Tous ces personnages ont quelque chose de fragile, mais aussi d’étrange, ou d’inquiétant. On sent comme une bête carnivore en ces murs, dissimulée sous la couche de vernis impersonnelle qu’offre le cadre hôtelier, un monstre qui sommeille en chaque anonyme, et toujours prêt à en dévorer l’âme en s’accrochant par les griffes au premier morceau d’humanité qui dépasse.

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Dans ce contexte neutre et aseptisé de la résidence hôtelière, on s’aperçoit également qu’un tel
« non-lieu » peut éventuellement faire office de « planque » à des individus « non normés », ou de
« couverture » à des facettes peu avouables de leurs vies ou de leurs personnalités.
Chacune des chambres est comme une boîte qu’on ouvre. On y découvre un moment de la vie d’une personne dont on ignore tout.

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Les indices qui nous sont livrés par les petites scènes auxquelles on assiste nous permettent d’imaginer ce qu’a pu être l’histoire préalable de ces personnes, ou ce qui pourrait peut-être leur arriver par la suite.
Le peu de temps passé laisse tout de même la possibilité de s’attacher au personnage, mais celui-ci garde un caractère repoussant. On ne sait pas dans quelle histoire sombre cette personne est mêlée. Et il vaut peut-être mieux ne pas le savoir.
De toute manière, il faut quitter la chambre. »

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Sortie de chantier créée par l’association des

–artistes participants au workshop : Claire Bournet (FR), Jackson Davis (AU),Stephania Kalomoiri (GR), Elodie Guézou (FR), Pierrick Bonjean (FR), Mario Sinnhofer (AT), Marlène Llop (FR) et Carli Young (AU).

–partenaires du projet : Eirini Alexioy (GR), Wolfgang Preisiger (AT) sur une idée de Katerina Kokkinos Kennedy (AU).

–équipes de production : Julie Paule (FR), Charlotte Le Bras (FR), Lauréline Saintemarie (FR)

–co-organisateurs : Gabriella Cserhati, Bruno Freyssinet, Vincent Brut et Abigaël Lordon

 

Mots-clefs :
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